Story of my lifeeeRussie, 2000
Les bras de Dimitri le faisaient souffrir. Il n'avait pas encore développé une musculature parfaitement aboutie et solide, ce qui était compréhensible étant donné qu'il n'était âgé que de 8 ans. "Cela viendra, disait le coach, tu verras quand tu seras plus grand, tu seras un champion!"
Le coach... un russe impitoyable au regard dur et dont les traits du visage semblaient être taillé à la pointe sèche. Jadis, c'était un sportif émérite ayant raflé un grand nombre de médailles, désormais il se déplaçait en chaise roulante, ayant perdu l'usage de ses jambes lors de la guerre, à cause d'une mine. Il avait évité miraculeusement la mort mais n'en était pas sorti tout à fait indemne. Sans doute endurci par ces événements, il n'était pas tendre avec Dimitri. Etait-il seulement capable de ressentir de la douceur? Probablement que non.
<< - C'est mou tout ça! Tends-moi donc ces pointes de pieds et bascule! >>Dimitri jeta un regard à l'horloge murale. 22h26. La séance allait enfin prendre fin. Le petit garçon s'efforça de tendre ses pieds et commença à faire un mouvement de balancier avec le bassin. Lorsqu'il eut l'impression que ses jambes s'élevaient à une hauteur suffisante, il poussa sur ses bras et fit une culbute sur les deux barres de bois. Il atterrit les deux pieds joints sur le tapis. Il jugeait sa propre performance comme réussie mais, comme d'habitude, son professeur fit la moue.
<< - C'est tout? Juste une simple culbute? Et où était la rotation de 180°? Et le poirier? >> Il regarda sa montre et soupira.
<< - Vas te changer. N'oublie pas: demain, 6h00 tapante, ici-même. Et essaye d'augmenter le niveau. >>Telles étaient les journées de Dimitri. Se lever tôt et rentrer tard. Passer ses journées à faire des exercices sur des barres parallèles. Il n'allait pas à l'école mais en avait affreusement envie. Il avait envie d'avoir des amis.
Dimitri était seul.
Il vivait seul avec sa mère, à Moscou. Elevé dans des valeurs chrétiennes, il pensait lorsqu'il était plus jeune que sa mère était comme la Vierge Marie, une immaculée conception.
Mais, lorsqu'il fut assez âge pour sa mère, elle lui confia la vérité. Son père était un soldat russe qu'elle avait rencontré lors d'un voyage en Erasmus en Russie. Ce fut le coup de foudre et, dès que la guerre fut terminée, ils se mirent en ménage. Mais alors que Karen, sa mère, tomba enceinte, son père quitta la maison, prétextant qu'on l'appelait au front en Irak. Dès lors, il ne donna plus de signe de vie et Dimitri ne fut pas reconnu par son père. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'il porte le nom de sa mère, danoise de père et française de mère.
Dimitri s'est vite fait remarquer pour son agilité et, pour une grosse somme d'argent, l'Etat décida de sa propre vie, en le forçant à être le meilleur gymnaste de sa génération. La Russie rêvait alors de voir ses nouveaux-nés devenir des champions.
Mais Karen était lucide et voyait que sa progéniture n'était pas heureuse, et ce en dépit de l'argent qu'ils possédaient.
Sans prévenir personne, ils quittèrent le pays et s'installèrent au Danemark, loin de toutes obligations et pressions de l'Etat, dans la banlieue de Copenhague.
La vie allait mieux. Ils étaient heureux.
Copenhague, 2009
La vie avait été agréable pendant tout ce temps! Pourquoi cela devait-il arriver maintenant? Etait-ce la fin du bonheur?
Dimitri serrait sa mère dans ses bras. Il la dépassait désormais d'une tête. Karen n'était déjà pas franchement grande mais elle semblait à ce moment plus petite, plus épuisée...plus vieille. Ses cheveux, réunis en un chignon, devenait de plus en plus gris. Ses yeux étaient brouillés de larmes et elle tremblait de tout son corps.
<< - Ca va aller, maman. On va se débrouiller... >>Mais sa mère ne pipait mot. A vrai dire, même Dimitri avait du mal à croire en ce qu'il disait. Et les restes encore fumant de sa maison lui faisaient mal au coeur et brisaient ses dernières réserves d'optimisme.
Oui il se posait cette question...
Etait-ce la fin du bonheur?
Paris, 2011
Cela faisait un an déjà. Un an que Dimitri avait quitté sa mère et le Danemark. L'assurance avait su fournir un logement à sa mère mais il était vraiment petit. A ses 18 ans, il avait donc plié bagage. Sa mère en était chagrinée bien sûr, mais au fond, cela était peut-être mieux comme cela pour elle et, en tant que mère, elle devait s'être déjà préparée à voir, un jour, son enfant partir.
Il n'avait pas pleuré immédiatement, lui. Ni à l'aéroport dans les bras de sa mère, ni dans l'avion. Mais une fois arrivé dans son appartement, il a évacué le trop plein de larmes qui s'était accumulé en lui.
Depuis son arrivée, il a peiné pour trouver du travail, du fait qu'il n'avait aucun diplôme en poche. Ce n'est que lors d'une visite dans un grand parc d'attraction tout près de son logement qu'un avenir professionnel se dessina.
Il avait été interpellé par un Cast Member, sûrement haut gradé, qui trouvait sa plastique "objectivement intéressante" et lui avait proposé un rôle de Character, en tant que Flynn Rider. Dimitri n'avait jamais vu le dessin animé mais accepta quand même. Dès lors, pour se mettre dans la peau du personnage, il loua le DvD et le regarda en boucle. Il pensait avoir bien cerné le personnage mais, comme son ancien coach lui avait appris, il se remettait toujours en question.
Aujourd'hui, c'est sa première parade. Il a la gorge serrée, debout sur son char. Il imagine déjà les visiteurs par centaines, par milliers même, qui vont poser ses yeux sur lui. Il déglutit avec peine. Le char s'élança.
Et Dimitri avança vers son avenir...
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